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III  COLLOQUE EUROPEEN SUR L' OBSERVATION DU BEBE BARCELONE

DE L'OBSERVATION A LA PSYCOTHERAPIE "ONCE A WEEK"
(Luigia Cresti Scacciati - Isabella Lapi)

Quand nous pensons à l'éclosion d'expériences d'application de "l'Infant Observation", de réflexion et de recherche sur la méthode dont ce Colloque offre témoignage, l'image métaphorique qui nous vient à l'esprit est celle d'un terrain fertile d'où de nombreuses et différentes qualités de fruits peuvent naître et se développer.

Parmi les multiples implications comprises dans cette méthode (de connaissance , formatives, "transformatives") surgit souvent  la "valence thérapeutique" qu'elle peut assumer par rapport à la mère ou à l'enfant ou aussi au milieu ambiant observés.

A ce propos, nous aimerions reprendre avec vous cet  aspect  pour analyser ensuite de quelle façon les facteurs qui, quelquefois rendent "thérapeutique" l'observation, sont les mêmes à intervenir dans de nombreuses situations de traitement psychothérapeutique.

Pour traiter ce thème de façon vivante et directe, nous présenterons avant tout,  en puisant sur notre expérience personnelle de trainers de groupes d'Infant Observation, un bref compte rendu clinique sur une expérience biennale,vécue comme difficile, dure et souvent frustrante de la part de l'observatrice, mais qui par la suite, en réalité, a présenté de surprenants développements.

Voici le cas d'une jeune femme Nora, mère du petit Daniele: dès le début, l'observatrice a éprouvé une sensation de malaise dû à la perception chez la mère d'un blocage dans l'expression de ses émotions, presque une "fracture" entre le niveau extérieur de communication empreint de la plus grande courtoisie et l'autre niveau sous- jacent plein de sentiments profonds chargés d'angoisse et de conflictualité.

Dès le début de sa relation avec Daniele, un petit garçon sain et actif, Nora semble peu capable de "voir" et reconnaitre les messages communicatifs et les propositions vitalisantes que le bébé lui envoie par des multiples canaux corporels; successivement aussi, durant la première année de vie de l'enfant, la mère continue à preter peu d'attention aux demandes de l'enfant, tenant vis à vis de lui un comportement de controle anxieux comme s'il était exposé à de continuels dangers; mais tandis qu'elle déclare sa préoccupation pour la sécurité et le bien être de Daniele, elle semble ne pas s'apercevoir des risques réels que court l'enfant( le courant électrique par ex.) ; elle assume, en outre, des comportements qui, à l'observatrice paraissent teintés d'un subtil sadisme, portés à interrompre et à bloquer les initiatives de Daniele, ses tentatives d'exploration du monde, ou encore ses expériences de gratification instinctuelle. En somme, il semble que Nora vive avec ambivalence son fils comme une partie de soi, menacée mais aussi menaçante qui ne peut pas être "vue" et laissée libre de s'exprimer, mais doit, au contraire, être soumise à une surveillance continuelle et à un  controle paralysant.

L'observatrice, comme investie par les tensions conflictuelles de la situation relationnelle, a vécu des sensations désagreablés de malaise et de blocage de la spontaneité; quelquefois s'identifiant à l'enfant, elle s'est sentie dérangée par la difficulté maternelle de comprendre et de satisfaire les besoins du petit; d'autres fois, elle a senti la difficulté de maintenir constante son attention sur l'enfant à cause de la mère, comme dans une correspondance spéculaire avec les aspects pathologiques  de cette dernière; mais surtout dans ce réseau complexe d'idéntifications-projéctions, elle a éprouvé des sensations d'oppression, d'étouffement, de rage à cause du climat non naturel de nombreuses séances d'observation où les choses quotidiennes et naturelles semblaient ne pas pouvoir se réaliser, et les besoins de l'enfant n'être ni reconnus ni satisfaits:

Quelquefois il arrivait à l'observatrice d'être accueillie dans une pièce aux lumières tamisées et la télédiffusion avec musique de Bach, tout cela contribuait à créer un decor soft, mais ce qui circulait dans ce contexte, c'étaient des sensations extrémement desagréables, des sentiments explosifs; s'il arrivait, par exemple, à l'enfant de salir ses couches la mère évitait de le laver comme si les selles ne devait pas être montrées; l'enfant, de son coté, était mal à l'aise, il gémissait avec insistance tandis que l'observatrice, qui souffrait pour lui, se sentait envahie désagréablement par la mauvaise odeur, elle éprouvait une sensation mixte de gêne physique et de rage impotente comme si elle se chargeait des aspects gênants et pénibles qui ne pouvaient pas être exprimés explicitement mais dont l'effet se faisait "sentir" à d'autres niveax à travers l'induction de désagréables sensations psycho-physiques. Ce qui revenait souvent dans son contre-transfert a été, en effet, la prégnance des éléments de perception sensorielle (olfactives et visuelles) et des sensations vécues dans son propre corps de façon concrète, comme si l'observatrice était inconsciemment dévenue la portatrice des éléments non-pensables, clivés et projetés sur elle par la mère et par l'enfant. Au terme de cette observation problématique qui, même au cours de la deuxième année, provoqua de nombreux moments de tensions conflictuelles non exprimées et une chute dans le développement global de l'enfant, la mère offrit une grande photo encadrée de Daniele à l'observatrice qui, surprise, crut cueillir dans ce geste l'implicite appel à continuer à "regarder et à comprendre".

Cette conclusion inattendue eut une suite; lors d'une rencontre, faite par hasard quelque mois après, la mère démontra à  l'observatrice une reconnaissance et un besoin d'intimité absolument surprenants; elle lui décrivit la croissance de son enfant et ses difficultés du moment, laissant entendre qu'elle avait aussi des problèmes matrimoniaux.

L'observatrice fut étonnée de constater que la mère maintenant semblait plus capable de voir son enfant et de communiquer ses propres sentiments bien que douleureux.

Récemment encore, à trois ans de distance, Nora a voulu rencontrer l'observatrice pour un colloque intime et privé, où elle lui a dit d'avoir souvent pensé à elle comme à une amie qui, certainement la connaissait mieux que d'autres et l'aiderait  donc peut être à affronter ses difficultés de mère et de femme.

Bien que synthétique, ce récit nous permet de comprendre que la relation entre l'observatrice et la mère a permis à cette dernière de bénéficier d'une expérience qu'on peut définir au sens large de "contenance". Cette expérience a lentement été intériorisée par la mère et lui a permis de démarrer des processus d'élaboration mentale  de telle sorte qu'elle a pu reconnaître et communiquer sa souffrance. Le fait que l'observatrice ait fonctionné comme "dépositaire" des identifications projectives, comme le témoigne son lourd contre transfert,  semble avoir permis à la mère de se soulager des aspects plus douloureux et conflictuels de soi même et de son rapport avec son enfant  et de sentir qu'ils étaient acceptés.

En même temps, elle s'est sentie en quelque sorte comme "soutenue" par le regard attentif et empathique de l'observatrice et ceci a activé un initial processus de transformation des contenus chargés de douleur et de rage, processus qui a débouché sur une explicite demande de thérapie.

Ce cas illustre une situation où sans même une finalité explicite de cure, sans même l'utilisation de l'instrument fondamental de l'interprétation, ont été activées, dans la relation, des composantes qui constituent, dans un certain sens, les prémisses pour une évolution en sens thérapeutique.
Ces composantes thérapeutiques du procédé observatif ont été relevées aussi par de nombreux auteurs : Pérez - Sanchez parle,  par exemple, du regard de l'observateur comme "regard tourné vers l'intérieur" (1994) qui sollicite chez les parents l'interêt pour le monde interne de l'enfant.

G . Ferrara Mori met en évidence comme le contact avec les fonctions non verbales mais mentales de l'observateur, avec son attention constante et son regard- "l'équivalent de l'écoute"- permet au bébé, et à sa famille, de réaliser une première transformation de leurs expériences émotionnelles et les aide à contenir les expériences douleureuses au lieu de les évacuer (1989).
D'autres encore, ont focalisé leur attention sur les fonctions que l'observateur déroule comme "réceptacle des projections" de l'enfant et des parents (Jardin,1994; Polacco Williams,1994) , ou de para- excitation (Rajon, 1994).

Les fonctions thérapeutiques de l'observation empathique telles que la réceptivité et l'attention, au sens bionien, sont activées avec des finalités directes de cure dans les traitements à domicile qui sont effectués soit en Italie soit à l'étranger (voir par exemple, les expériences de Houzel , Ciccone et autres sur l'intervention domiciliaire de la part d'observateurs préparés chez des familles avec des petits enfants à risque psychotique ou autistique).

Même dans ses applications dans les Institutions qui s'occupent de mères et d'enfants (comme services d'hospitalisation, crèches etc...), l'observation apparait comme un instrument aux importantes valences non seulement préventives mais aussi thérapeutiques, aussi bien pour les opérateurs que pour les mères et les enfants, comme nous l'avons déjà illustré dans nos précédentes  recherches (Cresti- Lapi, 1994).  Au cours de ces études effectuées dans des services de néonatologie, il a été particulièrement intéressant de vérifier comme  l' Institution Hospitalière , où le personnel a été sensibilisé à l'observation, peut dérouler elle-même le rôle "d' enveloppe contenante" envers les bébés et leurs mères en en facilitant la relation réciproque. Les fonctions de contenance réalisées par l'enveloppe institutionnelle, à notre avis, sont multiples : elle peut soutenir et protéger, dans un sens similaire à l'holding de Winnicott; ou bien elle peut offrir une contribution à l'intégration, comme a souligné E. Bick ; ou encore, elle peut constituer une contenance au sens bionien facilitant l'activation de la réverie maternelle; enfin, l'enveloppe institutionnelle peut devenir dépositaire des projections, dans la mesure où , comme le décrit Bleger , elle accueille de façon muette et inconsciente, les anxiétés psychotiques des mères en crise .

Nous pensons, que de façon analogue, une multiplicité d'aspects de "contenance" sont présents et fonctionnent thérapeutiquement  dans la situation de l'observation empathique (comme nous l'avons déja vu dans le cas présenté au début) ,de la même façon que dans le cadre de la relation psychothérapeutique.   
En effet pour qui, comme nous, a trouvé dans la méthodologie de l'Infant Observation, un instrument privilégié de formation à la psychothérapie psychanalytique, surgit spontanément la comparaison avec l'expérience clinico- professionnelle de traitement où, à notre avis, le processus thérapeutique  est souvent rendu possible et activé justement par les mêmes facteurs relationnels qui peuvent conférer valeur de soutien et de "cure" à l'observation, et qui sont reliés aux fonctions du "contenant".

Quand nous parlons de psychothérapie à orientation psychanalytique, nous voudrions ici nous référer en particulier à une modalité d'intervention qui, bien que se basant sur une attitude interne du thérapeute et sur des principes psychanalytiques,utilise un setting différencié par rapport au setting classique , pour la fréquence réduite des séances et l'utilisation du vis-àvis ; c'est à dire qu'il s'agit d'un setting qui, si d'une part constitue un contenant stable et continu pour le patient,  implique de toutes façons une limitation du temps et un plus direct contact et contrôle sensoriel. Se déterminent donc, un contexte et une configuration relationnelles qui rappellent les aspects caractéristiques de l'Observation, tels que la scansion du temps mono-hebdomadaire et une prégnance plus importante de certains éléments de la réalité, comme l'utilisation de multiples canaux sensoriels-perceptifs (surtout visuels) dans la communication.

Il nous semble qu'il est important de dédier un espace de réflexion à ce type d'approche thérapeutique, que nous appellerons "psycho-thérapie once -a- week"  pour la remarquable diffusion qu'elle est en train d'assumer, au moins en Italie, dans le cadre des psychothérapies à orientation psychanalytique.

Bien que son statut épistémologique reste encore à définir, il s'agit d'une réalité clinique concrète, on pourrait dire un "fait établi", qui à notre avis est déterminée par une série de facteurs:

  1. Avant tout, cette variation du setting correspond à un changement de types de cas, comme nous le verrons par la suite;
  2. En plus de cela, le fait que la psychothérapie ait souvent lieu dans l'Institution impose un ajustement du setting, dans le sens décrit ci- dessus;
  3. Souvent ce sont les patients eux -mêmes (ou bien les familles dans le cas de traitement d'enfants et d'adolescents) qui font la demande de psychothérapie à fréquence réduite, sur la base de motivations "réelles" (problèmes économiques, logistiques etc...) qui se lient, selon les cas, avec les résistances par rapport à une expérience nouvelle et anxiogène.

Pour ce qui concerne le type de cas, nous ne sommes pas en mesure pour le moment d'indiquer une typologie spécifique de patients aptes à la psychothérapie once -a- week; mais nous avons relevé que, dans notre pratique clinique, fréquemment nous avons à faire à des patients qui, plus que des noyaux conflictuels névrotiques circonscrits, présentent une sorte de "défaut ou trouble du contenant": par exemple il s'agit de situations avec une pathologie psychosomatique, ou d' adolescents avec des troubles de l'alimentation, ou des cas avec des déficits "de milieu ambiant" vécus en âge précoce, ou encore des situations borderline et psychotiques.
Un aspect qui revient souvent, commun et qui soutend leurs histoires, semble être la carence à se sentir reconnus et accueillis dans la dimension émotionelle-mentale, ce qui fait que, chez eux, l'expérience d'une "enveloppe" contenante externe et interne apparait inadéguate . Le rapport avec leur propre monde émotionnel semble être souvent barré ou de toute façon peu articulé, comme s' ils n'avaient pas appris le langage des affects, et que leur malaise se traduisait surtout par des faits du corps ou agis.
Avec ces patients, il n'apparait pas indiqué de dérouler tout-court une intèrvention thérapeutique centrée autour de l'interprétation du transfert et de conflits émotifs spécifiques ; nous pensons  qu'il est plutôt opportun d'établir avant tout un travail, qui peut être aussi très long, d'écoute attentive et empathique des anxiétés que le patient manifeste verbalement, et en même temps, d'observation et d'attribution de sens aux manifestations non verbales qu'il fournit pour rendre  accessible la sphère des émotions afin qu'elles deviennent ensuite plus aptes à la transformation et à la pensée.
Nous avons constaté que souvent, il s'agit de doser avec beaucoup de gradualité les instruments techniques habituels comme l'interprétation, quelquefois en les limitant ou en les modifiant avec ductilité dans certains moments particuliers, de sorte que le patient puisse être accompagné à petits pas  à approcher les sentiments et à leur donner un nom.

Nous rappelons l'enseignement de M. Harris qui, à propos de la Psychothérapie Once a Week, indiquait l'utilité d' "utiliser l'observation...pour aider le patient à lier ses paroles et ses actions ensemble de façon plus significative....., à organiser ses anxiétés, à contenir ou diminuer les effets désintégratifs". L'approche observative, donc, dans les valences thérapeutiques dont nous avons parlé, devient un instrument fondamental pour le traitement.

Dans ces situations, il nous semble en somme que jouent un rôle important "les fonctions du contenant thérapeutique", avant même que les interprétations en termes de conflit.

Comme l'a souligné D. Houzel dans un récent séminaire florentin (mai '96), dans les situations de " dispersion, turbulence,chaos"  le problème prioritaire est celui de réunir et de stabiliser le fonctionnement psychique ; ce processus d'organisation et de stabilisation des mouvements émotionnels et pulsionnels est rendu possible grace à la constitution d'une "enveloppe" solide et ductile en même temps, qui est donnée par les aspects de contenance du cadre thérapeutique, avant que l'on puisse penser à l'élaboration de la conflictualité dans le transfert. Ces fonctions de contenance, qui se réalisent à travers les caractéristiques du setting lui même lié à une attention vigilante au contretransfert, peuvent être bien déroulées par un cadre relationnel comme celui qui s'organise dans la psychothérapie psychanalytique once-a-week.  Nous voudrions maintenant avec vous en examiner les caractéristiques principales, et proposer nos hypothèses sur le sens qu'elle peuvent recouvrir pour certains patients:

  1. Avant tout la modalité technique du vis à vis nous apparaît particulièrement intéressante, pour la possibilité qu'elle consent d'offrir une "enveloppe visuelle" au patient. Notre pensée court à ce propos à l'expérience de l'observation, où on s'aperçoit que,pour l'enfant, : " l'être regardé et être tenu dans les bras sont équivalents..."  (R. Negri, 1988). Le thérapeute, qui regarde avec une attention empathique, représente de façon analogue, quelque chose de significatif, comparable à cette fonction maternelle qui est de regarder avec intérêt un enfant et le penser. Le regard ( du thérapeute\ de l'observateur\ de la mère) est fondamental pour la fonction de l'attention, condition indispensable à l'évolution psychique. G.Haag  souligne fortement l'importance du regard pour la structuration du Soi: " ...Le regard est une force qui calamite, attire, recueille...Dans les moments intenses d'interrélation il recouvre un role unifiant, intégrateur des autres modalités sensuelles et sensorielles...La combination du soutien de l' "arrière -plan" avec  "l'inter-pénétration" des regards consent le surgissement de la tridimensionnalité". (1986)
    Nous pensons qu'un genre de processus analogue puisse être activé et renforcé aussi dans la relation thérapeutique vis à vis, spécialement avec des enfants ou des patients graves.
  2. Des considérations semblables peuvent être faites aussi à propos des composantes "sonores" de la communication patient-thérapeute, qui sont intensifiées dans la psychothérapie once -a -week, puisqu' elle implique en général un échange verbal plus dense que non dans un setting psychanalytique classique.  Non seulement ,pour le thérapeute  l'écoute "musicale" aux messages sonores verbaux ou non a valeur , car cette écoute peut aider à cueillir des messages primitifs; mais aussi pour le patient, dans certains cas, le rapport avec la voix du thérapeute, comme vecteur  d'émotion, peut être très important dans la mesure où il permet une expérience de contenance à travers la constitution d'une" enveloppe sonore" ( voir S. Maiello, G. Haag, et autres).
    Avec ceci, nous n'avons pas l'intention d'ailleurs, d'attribuer mystiquement  une valeur thérapeutique à la voix ou au regard du thérapeute en eux-mêmes, vu qu' ils peuvent , dans certains moments, mobiliser des anxiétés de différent genre : de toute façon nous avons vérifié, en général, qu'il est très utile de travailler avec le patient sur son besoin de bénéficier d'une enveloppe visuelle et sonore, où les qualités d' "accueil" et celles de "pénétration" de la voix et du regard peuvent être  dosées, et modulées, par le thérapeute, sur la base des réponses du patient et du propre contre- tranfert.
  3. Pour ce qui concerne l'aspect de la limitation du temps, inhérent à la fréquence réduite des séances, il peut, pour certains patients, être indiqué surtout dans les phases initiales de la thérapie car il correspond à leur besoin d'extrême gradualité dans l'approche aux stimulations internes des émotions.
    En d'autres termes, la fréquence réduite devient, dans leur vécu, la garantie d'un accès prudent au monde interne et donc assouplit les résistances au traitement. Ceci expliquerait, la raison pour laquelle, certains patients refusent l'offre d'un setting avec des séances plus rapprochées.
    Parallèlement encore une fois, notre pensée court à l'expérience de l'observation, où on s'apercoit souvent qu'une présence plus fréquente de l'observateur pourrait être vécue comme anxiogène et intrusive et que l'intériorisation de la fonction contenitive ne s'effectue souvent que de façon lente et progressive, comme nous l'avons vu dans le cas illustré au début.
    En plus, comme le note G. Mander, le temps de la séance once- a week, étant qualitativement différent de toutes les autres heures de la semaine, peut devenir d'une façon toute particulière "kairos  ", c'est à dire temps signifiant et significatif, et de cette façon contribuer à cette fonction, qui est propre du contenant, de délimitation entre monde externe et réalité interne.

 

Nous proposerons maintenant quelques notes cliniques relatives à trois cas  ( une adolescente avec des problèmes d'alimentation,  une petite fille avec un trouble psychosomatique, une patiente adulte schizophrène )  qui illustrent comme l'intervention thérapeutique a été basée et réalisée grâce aux fonctions du contenant thérapeutique ( qui comprenait un setting à fréquence limitée et l'utilisation du regard par le vis-à -vis) . L'utilisation attentive de l'observation empathique, dans ses valences contre-transférentielles, a impliqué de la part de la thérapeute,  un intérêt particulier pour les phénomènes reconduisibles aux problèmes de l'enveloppe, comportant ainsi une attribution de sens aux nombreux messages mêmes corporels et non verbaux des patients, et favorisant ainsi une meilleure intégration de leur enveloppe psychique.
(Nous nous excusons pour la présentation très synthétique et partiale de ces cas cliniques qui mériteraient une illustration plus détaillée ) .

Nous commencerons par quelques flashes cliniques relatifs à la situation d'Aline, une jeune fille de seize ans, actuellement en traitement once-a week pour un problème alimentaire ( vomissement et refus de la nourriture) ; ce cas nous semble intéressant car il illustre combien, dès le début de la relation thérapeutique, le besoin de la patiente de bénéficier des fonctions de contenance offertes par le regard attentif de la thérapeute, a été fondamental.

Dans l'histoire passée et présente d' Aline émerge, avec évidence, un défaut "réel" du contenant au sens d'une carence et d'une incohérence des fonctions parentales de soin empathique et d'attention ; la mère, une femme éteinte, fragile et encline à la dépression, a eu de nombreuses difficultés dans son rapport avec l'enfant dès la gestation et s'est occupée peu d'elle; son mariage n'a pas duré longtemps. Aline a vécu alternativement avec son père ou sa mère, tout en assistant à de confuses relations érotico-sentimentales de l'un ou de l'autre avec d'autres partners.  Lors de la première rencontre avec Aline et sa mère, je fus désagréablement frappée du fait que la mère était peu capable de "focaliser" les étapes et les aspects significatifs de la croissance de sa fille, occupée plutôt à parler de son enfance difficile d'orpheline.

La situation d'Aline, en tant que petite fille délaissée, puis adolescente abandonnée à elle même, et  son aspect physique fragile et délicat, ont provoqué immédiatement en moi un contre transfert très intense chargé à la fois de peine et de sollicitude à son égard.

Dans la troisième séance, elle me décrivit ses sensations par rapport à la nourriture, me disant qu'elle pouvait en apprécier la saveur dans la bouche mais ne tolérait pas l'idée même que la nourriture fût "dedans,"  raison pour laquelle elle sentait un besoin urgent de la rejeter dehors. Je lui proposai alors de faire un dessin qui me "raconterait" comment elle se sentait à ces moments- là. Elle effectua, à ma grande surprise, le dessin de soi-même devant une grande glace vide: une glace décrite comme un "monstre" qui ne reflétait pas son image, qu'elle percevait comme hostile, qui la tenait à distance et devant laquelle elle se représentait peu définie dans ses contours.    

Avec ce dessin et la verbalisation qui l'accompagnait, Aline semblait raconter sa souffrance de n'avoir pas pu bénéficier de l'expérience du "reflet empathique" accomplie par le regard maternel, et en même temps elle semblait m'adresser une implicite demande transférale pour que je fonctionne, pour elle, comme "oeil-miroir", qui regarde, accueille, pense et lui renvoie une image plus définie de soi , investie de sens et de valeur libidique;  j'ai cru comprendre que la contenance offerte par un regard empathique et intéressé constituait pour elle une condition nécessaire pour que la nourriture thérapeutique puisse être reçue "dedans" au lieu d'être rejeté.

L'importance pour cette jeune fille d'être regardée et focalisée est revenue souvent dans les séances, comme un des leit-motiv: c'est ainsi qu'elle communiquait sa douleur de n'avoir jamais été photographiée par ses parents même pas dans son enfance ou encore elle me faisait lire les poèmes dédiés à sa mère, où elle parlait aussi de sa souffrance devant "les yeux froids...le regard de glace, sans âme".

J'ai été très frappée par les contenus verbaux avec lesquels s'exprimait cette jeune fille si sensible mais en même temps je me suis aperçue que je prêtais une particulière attention à certains aspects mimiques,surtout à sa façon de regarder et de sourire, avec lesquels elle arrivait chaque fois aux séances; souvent ce sont ces messages (surtout la qualité du regard qu'elle m'adressait) qui ont orienté mon contre transfert et guidé mes interventions; de son côté, la jeune fille aussi semble avoir vécu ma disponibilité  à la regarder avec attention et empathie, comme une expérience de réciprocité et d'attribution de sens, qui aurait été peut être moins intense en l'absence du vis-à-vis.

Je crois que l'offre de cette contenance visuelle a contribué à démarrer un processus de reconnaissance et d'organisation de ses émotions qui est en train de se développer de plus en plus dans la relation thérapeutique.

Cas II
Claire est une petite fille suivie pendant cinq ans par une psychothérapie once- a- week pour une grave alopécie, manifestée dès l'âge de six ans, avec des troubles du comportement dans le milieu familial, tels que: attaques d'angoisse et de continuelle inquiétude, qui tournaient surtout autour de sentiments de culpabilité et de préoccupation anxieuse, référés  à l'éloignement de ses parents et de sa petite soeur . Parmi les élements marquants de son histoire familiale émergeait une sorte de difficulté "trans-générationnelle" dans l'élaboration d'expériences traumatisantes perte-séparationde ;en outre, la mère disait qu'elle avait eu une grossesse difficile , pleine de soucis, et que, dans les mois successifs à la naissance de sa fille, elle s'était sentie craintive et incertaine à manipuler Clara laquelle avait montré très tot une anormale fragilité de la peau, extrêmement encline aux irritations et aux rougeurs. Un autre élément significatif était le manque d'appétit chronique de la petite fille qui déjà toute petite tétait très peu, tandis que ,vice versa, elle avait pris précocement l'habitude de sucer voluptueusement son pouce, comme elle a fait jusqu'à maintenant.

Dans l'anamnèse apparaissaient ainsi les signes d'un défaut précoce de contenance maternelle et familiale qui semblait se traduire dans la fragilité de  "l'enveloppe peau" et dans les difficultés de l'incorporation orale.

Au début de la thérapie, Claire présentait de grosses difficultés à "se détacher" physiquement de ses parents et semblait exprimer, par des modalités très concrètes, agies par son corps, des angoisses primitives de non-contenance et, en correspondance, des défenses archaiques de type adhésif : elle entrait en séance la démarche chancelante, se jetant sur le divan, comme épuisée et commençait à sucer son pouce, tout en s'embrassant ; souvent, elle s'asseyait près de moi, se collant à mon corps ou se recroquevillant sur mes genoux ; fréquemment son nez coulait, elle toussait, elle se plaignait d'une voix faible, urinait souvent. Ses activités de jeux étaient centrées, durant les deux premières années de sa thérapie, sur le collage et le modelage, avec de la pâte à modeler, de figures plates qu'elle appliquait sur la table; ce ne fut que vers la troisième année que commença à apparaitre une configuration plus tridimensionnelle dans ses productions ludiques: elle construisait, par exemple, des bulles de pellicule colorées, s'intéressant à leur forme sphérique contenante et se montrant anxieuse pour la présence de trous qui pouvaient les faire se dégonfler. Claire vérifiait souvent la "tenue" de la bulle et semblait être fascinée par "l'espace dedans", où elle essayait d'introduire d'autres bulles plus petites. Dans la même période d'importantes composantes conflictuelles émergèrent aussi plus clairement : Claire était maintenant une petite fille exigeante pleine de curiosité et d'impétuosité agressive envers la thérapeute,  vis à vis de laquelle elle manifestait des signes évidents d'opposition surtout à l'approche des vacances.

Mais ce qu'il nous semble intéressant de relever en ce lieu, c'est le fait particulier que, pendant toute la durée de la thérapie, la petite fille m'a fait comprendre, à plusieurs reprises, de ne vouloir qu' "un minimum d'interprétations" ; pendant les deux premières années, Claire a souvent montré de ne pas tolérer mes interventions interprétatives ,bien que prudentes et limitées, en réagissant quelquefois à ces dernières par des comportements attestant des angoisses de type persécutoire ( ex. fuir en se bouchant les oreilles); par la suite, ses réactions se sont nuancées avec des expressions du genre: "tu m'ennuies avec tes histoires... tes mots me font mal à la tête...arrête avec cette petite voix qui perce!"   Ce comportement de Claire m'a fait venir à l'esprit ses difficultés précoces avec la nourriture; il m'a semblé que, de la même façon, la petite fille éprouvait de la peur et de l'anxiété quand elle recevait la nourriture thérapeutique, qui pouvait être vécue comme intrusive ; j'ai repensé à l'Observation qui nous montre que les bébés ont quelquefois besoin d'être embrassés , regardés, avant même de pouvoir ouvrir la bouche pour recevoir de la nourriture.

Tout ceci m'a amenée non seulement à reconsidérer le problème du "timing" et du dosage de l'interprétation, mais surtout à déplacer le maximum de mon attention sur les besoins de contenance qu'elle manifestait à divers niveaux :

  1. Avant tout, la petite fille a constamment montré une hypersensibilité à la qualité de mon regard, avec des demandes explicites de plus grande attention, ou de protestation si elle croyait saisir quelques instants de "chute" de ma part.
  2. Claire m'a fait comprendre, à plusieurs reprises, son besoin de moduler pour elle  le ton de ma voix , et l'intensité de la lumière dans la pièce, comme si elle me demandait une fonction de para-excitation.
  3. Pendant des mois et des mois elle a demandé, qu'à la fin de la séance, je lui lise des histoires en m'asseyant près d'elle ; le plaisir évident et intense qu'elle éprouvait à écouter ma voix, semble avoir été pour elle la condition  nécessaire pour pouvoir ensuite se détacher sereinement, emportant en soi-même l'expérience d'une enveloppe sonore
  4. A un niveau plus mental, Claire a eu besoin de tâter constamment mes capacités de la garder à l'esprit et de me souvenir, me demandant par ex., au début de chaque séance, un bref compte rendu de la séance précédente, comme pour lui garantir ce sens de la "continuité de l'être" dont parle Winnicott .
  5. En outre, souvent, elle a montré une profonde jouissance à l'idée que je pouvais activer mon esprit à imaginer et à inventer des histoires,  des jeux, en somme "à penser pour elle".
  6. La thérapie, en voie de conclusion, a eu dans l'ensemble, une évolution positive: une relation transférale pleine de confiance a mûri  et  un espace intérieur plus structuré, où les émotions et les fantasies peuvent être reconnues, s'est constitué ; je pense que ces résultats doivent être attribués aux facteurs de "contenance" décrits jusqu'ici, compte tenu que les formulations verbales de type interprétatif ont été forcément réduites au minimum.
  7. Lors d'une séance récente , à un moment où nous nous sentions très proches l'une de l'autre, quand je m'apprêtais à expliciter l'état d'âme que je cueillais en elle ,elle m'interrompit de cette façon : " ce n'est pas la peine que tu parles! il me suffit que je sente que tu sentes ce que j'ai à l'esprit !" .   

Cas III
Nous parlerons maintenant du traitement d'une patiente adulte schizophrène   .
Sonia eut un début grave de sa maladie vers vingt ans, qui la laissa incohérente, avec de fréquentes crises aigues et des internements en service psychiatrique que, ni la thérapie pharmacologique ni la thérapie de la famille, réussissaient à éviter. Vers vingt quatre ans, l'équipe soignante proposa la psychothérapie, bien qu'avec beaucoup d'incertitudes sur la possibilité, de la part de la patiente, de supporter le contact émotionnel .

Ainsi, incohérente et confuse, effrayée et au milieu des perplexités de tous, Sonia commence sa psychothérapie à raison d'une séance par semaine ; le traitement, qui s'est prolongé pendant presque six ans, a eu un développement significatif que nous voulons vous montrer de plus près.

Durant toute la première année de cure, Sonia garde le regard fixe sur la thérapeute et remplit la séance avec la fumée de ses cigarettes et un flux incessant de mots melés à des contenus sadiques : du rideau de fumée et de mots, on entrevoit la grande peur de Sonia envers la thérapeute et son besoin de la contrôler, mais aussi- comme perçoit la thérapeute par son propre contretransfert- ,le besoin de se remplir toute seule la bouche et les oreilles, une sorte "d'auto nourriture" en  l'absence d'une mère interne qui nourrit et qui contient.

La thérapeute ne peut pour le moment parler , elle ne serait pas écoutée et effraierait trop Sonia ; elle peut, par contre,la regarder - "l'observer" - et lui offrir son attention dans un cadre thérapeutique contenant.

Peu à peu, cet effet contenant se fait sentir : les cigarettes diminuent et dans le brouillard s'ouvrent des espaces où la patiente peut commencer à se taire, ne serait- ce que pour quelques instants. Parallèlement , sa façon de parler change de ton et de contenu; à la fabulation sadique et psychotique, succède au fur et à mesure une affabulation fantastique et hystérique mais compensatoire, qui révèle toute la dramatique condition de carence maternelle. Apparait le début d'un transfert , fugace mais potentiellement riche. Progressivement augmentent les moments de silence où Sonia n'a plus besoin de se remplir la bouche et les oreilles avec la fumée et les mots et  devient disponible à recevoir les paroles de la thérapeute qui la voit comme un petit enfant  qui commence maintenant à pouvoir être allaité.  Au début ce n'est pas la signification des mots de la thérapeute que Sonia montre de percevoir et d'apprécier ( "comme c'est bien de rester avec maman pour écouter les chansons... pour faire quelque chose ensemble..."  dira-t-elle en séance après que la thérapeute a parlé) - comme si elle était en train de se constituer en soi une enveloppe sonore, préfiguration de son futur Moi-peau (Anzieu).

A partir de ce moment en effet, deviendront toujours plus évidents les pas de Sonia vers l'acquisition d'un contenant interne , un espace-temps qui délimite et contient , perçu d' abord physiquement comme pièce et heure de la thérapie, puis intériorisé comme fonction mentale:  en effet, datent de cette période le fait de rentrer et de sortir à plusieurs reprises de la pièce à la fin de la séance; d'en contrôler  le temps sur sa montre (qu'elle porte maintenant toujours à son poignet)  ; et enfin de prendre conscience de la séparation pour les vacances, et en souffrir.    Ce n'est pas sans douleur, en effet, que la patiente accomplit ce chemin, ni sans conflit. Toutefois, meme lent, c' est un chemin progressif : pendant  sa quatrième année de thérapie, Sonia ne fume plus en séance, au lieu de son incessant monologue il y a un dialogue thérapeutique, maintenant riche aussi de contenus outre que de "sons". La patiente, en effet, commence à porter en séance sa rage, sa jalousie, sa propre souffrance, d'abord clivée et tenue à distance comme son besoin de maman. Les paroles de la thérapeute sont accueillies dans leur contenu interprétatif, et c'est Sonia, elle-même, qui souvent le demande et réagit avec déception si la thérapeute ne cueille pas cette nécessité et se contente de la rassurer, par exemple, au lieu d'interpréter.

Sonia est une patiente qui, sous son break-down psychotique, a montré d'avoir un grave déficit de contenance et qui, dans la psychothérapie a eu besoin de trouver un contenant, avant même et peut être plus que l'insight. Dans la première année de traitement, elle a adhéré au cadre thérapeutique de façon adhésive et contrôlante mais le comportement  "observatif "  de la thérapeute, avec son regard, son attention et, seulement plus tard, avec ses mots, lui a permis de développer petit à petit son propre "Moi-peau" , avec la possibilité de distinguer les frontières entre monde interne et monde externe et de s'approcher de la vie psychique et de la possibilité de penser.

En présentant ces trois cas, nous avons eu l'intention de montrer les aspects différents de l'utilisation, dans la psychothérapie once -a- week, d'instruments cliniques et techniques empruntés à l'Infant Observation. Dans le premier cas, Aline, nous voyons comment peut se présenter en psychopathologie le défaut de contenance;  dans le second cas, Claire, quels ajustements sont nécessaires  à la technique; alors que le troisième cas, Sonia, illustre le cours du processus thérapeutique où s'est développée , dans les années, la fonction de contenance .

Aussi bien dans la clinique que dans la technique, en effet, l'Infant Observation continue à offrir de nombreuses possibilités de recherche et d'approche originale dans des domaines nouveaux d'application psychoanalytique, comme la psychothérapie à fréquence réduite.