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Andrzej GARDZIEL, Małgorzata GORZULA, Janinia KISIELEWSKA, Irena KO£ACZKOWSKA

Service de Pédopsychiatrie de l’Hôpital Saint-Louis de Cracovie.

Le retour de la pensée aux sources - les premières expériences de la méthode d’Esther BICK en Pologne.

Les quatre auteurs du présent texte sont en même temps les participants de la formation portant sur l’observation des nourrissons selon la méthode d’Esther BICK. Cette formation a été proposée et ensuite supervisée par le Pr. Didier HOUZEL de Caen. Elle s'est déroulée du décembre 1993 au juin 1996.

Au début, nous ignorions la provenance polonaise d’Esther BICK, et notamment qu'elle vécut dans la région de l’ancienne Galicie. Cette information apprise par l’intermédiaire de Michel et Geneviève HAAG a conféré une dimension émotionnelle particulière à notre formation, qui, grâce à notre ami français, s’est tenue pour la première fois en Pologne. En effet, tout en menant nos observations et en participant aux supervisions, nous étions accompagnés aussi du sentiment d’adhérer à l’acte symbolique du retour de la pensée d’Esther BICK au pays de son enfance. D’autant plus que la ville de Przemyśl est aussi la ville natale de l’un de nous quatre.

Esther BICK, nom de jeune fille - Estera Lifsza WANDER - est née le 5 juillet 1902 à Przemyśl qui est située au sud - est de la Pologne. Plus tard, comme nous le savons déjà, elle s’est rendue à Vienne pour ses études, et ensuite elle a habité Londres. Malheureusement l’on n’a pu rien apprendre de ses traces à Przemyśl. Lors de la deuxième guerre mondiale presque toute la population juive, quelques milliers de personnes, ont été exterminés sur-le-champ ou déportés dans des camps de concentration. L’immeuble de la rue Mnisza où habitait la famille WANDER demeure toujours mais ses habitants de l’après-guerre ne savent rien sur ses anciens locataires. Serait - ce un paradoxe ou une ironie du sort, le fait que nous nous ignorons l’histoire de l’enfance et de l’adolescence de cette personne justement qui nous a offert une méthode exceptionnelle de connaître mieux la période la plus précoce de la vie humaine.

Cependant, il est difficile de résister aux associations et aux fantasmes qui s’offrent à cette occasion. La Monarchie autrichienne et hongroise, dont la Galicie faisait partie, peut être considérée à coup sûr comme le berceau de la psychanalyse. On peut avancer une hypothèse disant que le développement de la conception de la psychanalyse a été favorisé par cette espèce de mélange de nations, de cultures et de confessions, tellement présent sur le terrain de la Galicie. A la fin du XIX et début du XX siècles, Przemyśl situé dans la partie centrale de l’ancienne Galicie entre Cracovie et Lvov, se développait d’une façon très dynamique, et grâce à l’afflux de nouveaux habitants sa population a fortement augmenté. Ce phénomène était lié au fait de l’extension de la ville, en tant que forteresse autrichienne.

Parmi les 2000 forteresses existant pendant la première guerre mondiale, Przemyśl occupait la troisième place après celles d’Anvers et de Verdun, quant à la taille, et au cours de 170 jours il a résisté le plus longtemps aux trois sièges suivants. Aussi, comme Verdun, il n’a pas été conquis, mais a été obligé de se rendre, suite à l’épuisement des vivres. A ces moments dramatiques, vécus par les assiégés, a sûrement participé Estera Wander, ayant alors 12 ans. Le rôle de Przemyśl dans la première guerre mondiale a conféré la gloire et la splendeur à ses habitants. Nous pouvons nous imaginer que ces sentiments, eux aussi, ont pu être partagés par l’adolescente de Przemyśl.

Ce détour des siècles, est à la fois l’époque de floraison de l’art polonais et l’apparence de nouveaux courants dans sa peinture. Lorsque nous regardons de nombreux tableaux des peintres polonais de l’époque, présentant des silhouettes et des têtes enfantines, nous nous demandons si Estera Wander les regardait et admirait également. L’un des célèbres tableaux de Stanisław Wyspiański (peint en 1902) intitulé „Maternité”, sans aucun doute exprime cette même ambiance de recueillement et de fascination, que nous - mêmes, nous avons vécu au cours de nos propres observations.

Pour des raisons évidentes, les supervisions du Pr. Houzel ne se déroulaient que quelques fois par an. Pendant toute la période de la formation le Pr. Houzel a effectué 9 sessions de supervision, d’environ 3 jours chacune. Lors des entretiens avec lui, chacun d'entre nous n’a pu présenter que ses quelques observations choisies. Cependant, l’intensité de notre travail commun était le contrepoids de nos contacts rares et non - systématiques. Entre ses visites en Pologne nous nous efforcions autant que possible de nous réunir régulièrement dans notre groupe des quatre, afin d’essayer avec nos propres moyens d’arriver à comprendre les faits observés, mais aussi, en se rappelant des principes d’observation et en s’entraidant, à dépister les erreurs commises.

Car force est de reconnaître en toute franchise qu'au départ de la formation nous ne savions pas ce qui nous attendait à sa fin. Voilà comment nous décrivions, chacun à son tour, les difficultés rencontrées:

Marguerite: „J’étais habituée à des visites à domicile, car depuis de nombreuses années je travaillais avec des enfants aveugles dans leur milieu familial. Mais cette fois-ci j’étais obligée de m’introduire dans une famille où un enfant était né en bonne santé, et donc là où on n’attendait de moi ni conseils, ni aide, ni thérapie. C’était une situation très difficile pour moi, au début je me sentais comme une intruse ... peut-être craignais-je également que par mon introduction à la maison je ne fasse venir un problème sur la famille."

Janina : " Ce qui m'était le plus difficile dans cette observation - c'était de ne pas ingérer pendant les périodes critiques pour la famille. Ma profession de psychologue de dispensaire, les habitudes professionnelles et ma tendance innée à aider les autres me rendaient difficile de garder la position d'observateur ... . Il m'était difficile de m'empêcher d'intervenir, d'éluder les question, de ne pas en poser ..., de ne pas suivre les initiatives de l'enfant et de garder mes distances dans les relations avec celui-ci".

Irena : "C'était à grand-peine que j'ai pu réprimer, retenir mon activité propre, ce à quoi me provoquait toute la famille par son comportement, ses énoncés et les questions qu'elle me posait ... . Malgré une solide connaissance des principes de l'observation il m'était difficile de les respecter, surtout du moment où j'avais réalisé que des liens émotionnels de plus en plus forts commencent à m'unir avec cette famille."

Andrzej : "Il me dérangeait que dès le départ les parents me traitaient comme une grande autorité - ne serait - ce qu'en raison d'une grande différence d'âge, mais aussi parce que je n'avais pas su cacher mon rôle - du chef de service, organisateur de la formation, d'autant plus que je n'ai pas su m'empêcher de dire quelques commentaires généraux sur le développement de l'enfant. Et même si les parents avaient bien accepté les cadres limitant l'observation, pourtant ils essayaient d'être "bien" au regard du "pépé" et répondre à l'objectif de mes visites à la manière dont il le comprenait - en montrant „le plus du développement de leur enfant”.

D’autres difficultés se présentaient également, sûrement mieux connus de tous, telle la mémorisation et la prise de notes, trouver du temps convenable pour rédiger des notes, garder la cadence et respecter les cadres d’observations, reprendre les observations après la période des vacances.

En simplifiant l’on peut dire que nos difficultés résultaient souvent de la du recoupement des habitudes prises auparavant, pendant l’exercice professionnel, avec les principes d’observation. (Parfois aussi faute des habitudes pré - acquises nécessaires).

La participation à la formation consista pour nous tous en:

  • un extraordinaire exercice de l’esprit de système, de régularité, de conséquence dans le respect des „cadres” imposés,
  • l’exercice de l’attention et de la mémoire, les facultés de perception des détailles et de la prise de notes de ceux-ci,
  • l’entraînement à s’abstenir de l’interprétation, de l’évaluation dans toute activité propre, l’entraînement consistant à „mettre la pensée hors circuit”
  • l’entraînement à apercevoir des comportements et petits gestes, en l’apparence insignifiants mais ayant de l’importance, à apercevoir les séquences des actes.

Cependant, ce qui apparaît comme le plus important et le plus fascinant dans l’observation des nourrissons selon la méthode d’Ester BICK, c’est être le” témoin”. Ci-dessous notre tentative de nommer, certes d’une façon imparfaite, ce que nous observions pendant ces 2 années:

Małgorzata: „Je crois que j’étais témoin de la véritable naissance psychique de la petite Jeanne et la création des liens entre elle et sa mère”

Irena: „J’ai saisi l’importance des événements précoces de l’enfant pour le développement mental de l’homme... je me suis rendu compte que le début de la vie psychique coďncide avec le moment de la naissance”.

Janina: „J’ai pu observer directement le développement intrapsychique du nourrisson lors des échanges des comportements et des sentiments entre lui et sa mère, son père et toute la famille."

Andrzej: „J’ai perçu l’immensité de la richesse et de la dynamique de la vie psychique du nourrisson."

Nous sommes parfaitement conscients que ce „témoignage” des débuts de la vie psychique de l’enfant nous l’avons acquis en éprouvant l’importance des principes d’observation, parfaitement formulées par Esther BICK et qui nous ont été rappelées souvent par Didier Houzel.

Les plus importants d'entre ces principes sont certainement : respecter le temps de l'observation, maintenir l'attitude de bienveillance passive, suivre les étapes : apercevoir - noter - tâcher de comprendre.

Il n'était pas chose facile de respecter ces principes. Chacun d'entre nous a commis des erreurs et des désertions, comme d'ailleurs chacun en vivait ensuite les conséquences.

L'initiation préliminaire aux principes de l'observation n'annonçait ni le poids des difficultés qui nous attendaient, ni la fascination par les nouvelles découvertes. Il n'en reste pas moins que c'est justement les principes de l'observation qui furent à la source et de nos difficultés et de nos fascinations. . Ces principes, selon lesquels il fallait séparer l'observé et le vécu des tentatives d'interprétation ultérieures.

Grâce à un tel ajournement l'observateur accède au langage préverbal, langage des sens, émotionnel - en obtenant ainsi la possibilité de saisir les pensées à leur source, les pensées in statu nascendi - et cela aussi bien chez l'enfant observé que chez lui-même.

Traduction :
Hexagone s.c.
Marcin ECKSTEIN & Kazimierz REY
31-065 Kraków
Orzeszkowej 8/17
tél/fax : 48/12/ 21.47.80