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DE LA SYMBIOSE A L'AUTONOMIE L'APPORT DE L'OBSERVATION DANS LA SALLE D'ATTENTE DE PROTECTION MATERNELLE ET INFANTILE

(Docteur Pierre LAFFORGUE, Bordeaux).

 

Je vais parler de mon expérience autour de la question de l'accompagnement des situations de séparations normales entre le bébé et la mère, séparations de maturation et d'autonomie qui dans les milieux peu contenants et fragilisés sont parfois vécues avec des avatars qui peuvent être plus tard invalidants. Il sera donc question davantage de prévention que d'action thérapeutique et de dysfonctionnements pour lesquels les consultations et aides psychothérapiques traditionnellement proposées par notre équipe d'HMI n'étaient pas acceptées par ce type de population.

Le travail dont je parle est celui de l'accueil et de l'observation des bébés dans la salle d'attente d'une consultation de PMI comme outil de prévention utilisant l'extension et l'adaptation de la méthode de "l'infant observation" de E. BICK (1) afin de favoriser les échanges mère-enfant, mère-mère, enfant-enfant et enfant-accueillants, de dépister les pathologies de l'interaction en train de s'installer et d'essayer de prévenir les pathologies répétitives et invalidantes. Dans la salle d'attente du centre de PMI, spécialement aménagée (table à langer, tapis pour les bébés, bac à eau et table à dessiner pour les aînés, coin pour les mères), plusieurs membres de l'équipe de secteur sont présents deux demi-journées par semaine pour deux heures d'observation participante (écouter les mères et éventuellement leur répondre, accompagner les jeux sans les provoquer, favoriser la dynamique de groupe) suivies, hors de la salle d'attente, d'une heure de régulation, commune aux deux équipes, secteur et PMI. Cette présence d'observateurs disponibles et participants permet une action préventive précoce facilement acceptée par une population défavorisée ou émigrée.

Notre présence bi-hebdomadaire dans la salle d'attente nous a amenés à rencontrer dans cet espace des situations de petits dysfonctionnements dans le processus de séparations entre la mère et l'enfant.
Je n'aborderai ici que la question des apprentissages banaux pour accéder à l'autonomie psychique.

L'architecture et l'aménagement de la salle d'attente ont été pensés pour que les mères puissent, si elles le désirent, parler entre elles, avec leur bébé sur les genoux ou dans un baby-relax à côté ou en déposant leur bébé sur le tapis de jeux, avec les autres enfants que nous y accueillons.

Ces mères peuvent inciter leur bébé à jouer avec les autres, sans elles ou avec elles selon les cas. C'est à ce niveau que nous observons des situations de mères qui à l'évidence n'ont pas envie de convier leur bébé à participer à un groupe ou de bébés qui sont en difficulté pour quitter le giron maternel. Ces petits dysfonctionnements symbiotiques sont travaillés par les accueillants dans le cadre de la salle d'attente par une observation fine des sollicitations, des appels et des réponses éventuelles des mères à leurs bébés et des bébés à leurs mères.

Ces micro-observations d'environ 20 minutes sont écrites aussitôt après par celui qui était chargé de l'observation et régulées entre 16 h et 17 h par les accueillants en présence du médecin de PMI et de la puéricultrice.
Si l'on remarque, par exemple, que l'enfant par ses gestes, ses mimiques et son regard, a manifesté un désir d'aller jouer avec le groupe et que la mère n'y réponde pas, on peut penser qu'elle n'a pas perçu cette demande, ou qu'elle résiste à y répondre. On envisagera alors d'aider la médiation de cette situation. Par exemple, la semaine suivante, un des accueillants aura à solliciter la dyade plus clairement : en s'adressant à l'enfant et en verbalisant l'invitation ou en faisant un commentaire sur l'intérêt de l'enfant : "Tu t'intéresses à ce que l'on fait ! Tu as peut-être envie de venir avec nous ?"

Dans notre technique, un autre accueillant s'assoit alors auprès de la mère pour l'aider à ne pas se déprimer à l'idée de rester seule alors que le bébé prendra du plaisir avec les autres.

Ce travail sur les "deux feuillets" d'une séparation est simple et très opérant pour ces mères souvent isolées, sans image maternelle intériorisée ou sans image paternelle séparatrice. Selon le cas et le vécu maternel ressenti par l'accueillant près de la mère avec son bébé, il est proposé à celle-ci de se joindre au groupe sur le tapis ou au contraire d'arriver à continuer à penser à leur bébé à distance. Celui-ci d'ailleurs (s'il a l'âge de se déplacer seul, à quatre pattes par exemple) utilisera souvent des mécanismes de gratification à la mère en lui apportant des cubes ou des objets comme pour remplir le vide de la séparation et "troquer" par ce rituel dépôt d'objet dans les mains maternelles des moments d'autonomie sans trop de culpabilité.

La population qui fréquente cette consultation de PMI vit souvent la communication avec le monde extérieur de façon angoissante et persécutrice. Cela se manifeste (surtoutchez les enfants maghrébins) par une sorte de symbiose anxieuse. Ces enfants sont sidérés, littéralement collés à leurs mères, refusant de se séparer pour jouer. Ils regardent les autres et répondent de façon phobique à toute sollicitation de séparation. C'est alors que nous essayons de proposer à ces mères notre aide pour que cela se passe mieux. Celles-ci acceptent de "travailler avec nous" et verbalisent très facilement leur embarras devant ces situations qui les préoccupent surtout à l'idée que ça se passera forcément mal pour la première entrée en maternelle.

Après régulation, le médecin de PMI ou la puéricultrice proposent alors à cette mère de revenir avec son enfant toutes les semaines dans la salle d'attente. Si au bout de 4 ou 5 "séances" de salle d'attente la séparation reste impossible ou reste encore trop douloureuse, nous en reparlons en régulation et un atelier de maturation par le conte sera proposé dans les mêmes locaux en dehors des heures de la consultation. Les mères (et pères) qui nous ont aidés dans la première approche en salle d'attente ne sont pas résistants à la proposition d'un groupe à visée thérapeutique. En effet, dans notre travail de salle d'attente, ces parents deviennent très vite (sauf quelques cas très pathologiques) co-observateurs des souffrances de leur enfant et demandent de l'aide aux personnes qu'elles connaissent et qui sont là pour les accueillir. Ces personnes étant pour une partie les mêmes que celles du groupe conte de maturation thérapeutique, ces parents reviennent "nous retrouver" et poursuivent le travail ainsi commencé.

Voici ce qu'écrit Lucien Chomy, (un des intervenants), au sujet de l'atelier proposé à Didé, un petit garçon noir, de 2 ans et demi, présentant une symbiose anxieuse. Il est sidéré, collé à sa mère, elle-même dépressive et inhibée :

"Il fallut du temps pour proposer sereinement l'atelier conte. Petit à petit, la confiance et la distance permise par l'accueil et l'observation en salle d'attente ont permis au père et à la mère de Didé de prendre conscience que ça n'allait pas, qu'il y avait quelque chose de différent et de bizarre dans le comportement de Didé, qu'ils pouvaient demander de l'aide. Et Mariama était née, elle avait besoin de place...

Pour Didé, "en avant la musique" (c'était sa manière d'appeler l'atelier, "la musique") : on vient à dix-sept heures, on monte tout en haut de la maison. Au bout de l'escalier, il y a un couloir divisé en deux chemin : les enfants prennent le chemin de droite et regardent leurs mamans prendre le chemin de gauche. Après, quand elles ne sont plus là, on est dans la pièce des enfants. Il y a des jouets : la famille ours, les cerceaux, les balles, les marionnettes, les duplos... Et il y a la guitare, le tam-tam et les biberons pleins de riz qu'on secoue en rythme.

Il y a trois accueillants qui chantent des comptines, des chansons gasconnes, qui parlent des mamans qui pensent et attendent de l'autre côté, qui proposent des appuis, des consolations, des jeux rudimentaires.

Après on raconte une histoire, (2), celle qui nous vient en tête dans ce moment de jeu. Les plus populaires : Les Trois petits Cochons, Les Sept Chevreaux, Le petit Chaperon Rouge, Boucles d'Or, Les Trois Petites Maisons, Les Oeufs de Madame Autruche, Jeannot et Margot, Le Pou et la Pouille, Moitié de Poulet... Mais au début, ça n'a pas été facile de conter, comme si ça n'était vraiment pas le moment.

Après quelques mois, il écoute tranquillement l'histoire de Jeannot et Margot (thème des enfants perdus dans la forêt) installé contre une accueillante. Il a pleuré en arrivant et se calme à l'intérieur. Il y a alors deux types de jeux : lancer des objets (balles, peluches) sur les hommes ou n'importe où et attaquer les marionnettes que nous animons. Il est inquiet dans les jeux de cache-cache, de disparition. Il nous accompagne au tambour quand nous jouons, il joue en rythme et dans le regard. Pendant ce temps, sa mère nous dit qu'il pense à l'atelier, à la guitare. Elle tient beaucoup à l'amener à l'atelier. Elle-même s'y sent bien, elle a lié amitié avec une mère, participante du groupe.

Au bout d'une année, nous avons tous affaire avec le loup. Dans les jeux, il "fâche" les enfants, les attaque, et il faut que la maman s'en occupe, lui donne à manger, le soigne.

Heureusement, pour se défendre on apprend à se fabriquer des cabanes, des espaces solides et délimités, bien fermés avec des ouvertures pour dire à la marionnette-loup de s'en aller, pour écouter l'histoire et les chansons chez soi. Quelquefois les maisons explosent. Didé n'apparaît plus ici avec ses inhibitions, les attaques sont jouées. Pourtant ces explosions expriment pour nous la violence contenue de Didé qui se retourne sur lui. Il joue des accidents que maman ne peut soigenr, il faut aller à l'hôpital. Quelquefois "il nous casse les oreilles" avec son tambour.

Nous nous accrochons à la pensée qu'il faut faire ensemble l'expérience que l'on est solide face aux projections. Malgré les attaques le groupe continue de se retrouver chaque mercredi : on joue, on chante, on pense au loup dans des histoires qui se terminent... bien.

De son côté, dans le groupe des parents, la mère de Didé parle de son Afrique qui lui manque. Là-bas, c'est le village qui s'occupe des enfants. Les femmes travaillent cinq jours pour leurs maris et elles ont deux jours pour elles, pour aller vendre leur récolte au marché. Là-bas, les femmes restent ensemble, chacune amène quelque chose, on mélange, on cuisine et on partage. Les grands-mères savent comment on s'y prend avec les nourrissons. Elle parle aussi des rites de passage d'un âge à l'autre, d'un statut à un autre dans la communauté : on fait une fête, on tue une poule en sacrifice".

Didé va mieux et continua à grandir sans nous. Par contre la mère est inquiète par sa petite soeur Mariama. Elle est inhibée, ne mange pas. Didé saura gérer son autonomie et acceptera qu'une place soit préparée pour sa soeur qui a besoin du groupe pour grandir elle aussi.

Ce jeune garçon a probablement acquis par ce travail d'observation en PMI et par le groupe conte de maturation la capacité de représenter et de gérer les conflits internes de la séparation. Il est devenu suffisamment autonome.

L'observation en salle d'attente et l'accueil participant à l'atelier conte de maturation ont bien fonctionné dans leur rôle de catalyseur de ces situations d'angoisse de séparation difficilement représentables tellement l'environnement est peu sécurisant dans la population de ce quartier. Une partie de notre travail en PMI est d'aider ces mère à être suffisamment contenantes pour que les séparations de la maturation puissent être des expériences bonnes à penser pour elles et leurs enfants.

 

Juin 1996

 

(1) L'observation du nourrisson selon E. BICK, ses applications sous la direction de Rosella SANDRI. Edition Cesura, Lyon, 1994. Dans cet ouvrage collectif issu du premier colloque à Bruxelles en 1991, on trouvera un développement de notre expérience : L'observation des bébés comme expérience de travail de prévention dans la salle d'attente des consultations de protection maternelle et infantile (P.M.I.).

(2) Pierre LAFFORGUE : Petit Poucet deviendra grand ou le travail du conte. Edition Mollat, 1995. Diffusion Le Seuil. Dans cet ouvrage, il est longuement parlé du travail de maturation utilisant le conte populaire en atelier (techniques et évolution).